par Alain Ilan ELGRABLI - psychologue clinicien
La maladie d’Alzheimer et les maladies apparentées sont connues pour toucher essentiellement LA mémoire mais d’un point de vue psychologique et cérébral, il y en a en fait PLUSIEURS. Elles servent toutes à quelque chose de particulier et ne sont pas atteintes de la même façon par la maladie. Les connaître permet ainsi de mieux comprendre l’évolution de la maladie de son proche mais surtout, d’en comprendre en partie les symptômes et, tant que possible, utiliser les ressources qui restent.
Les mémoires … en bref
Pour faire simple, il existe deux grandes catégories de mémoire :
La première correspond aux souvenirs que l’on peut expliquer avec des mots (dans le jargon, on appelle ça la mémoire déclarative ou mémoire explicite). Par exemple, je peux expliquer avec des mots que j’ai grandi en Lorraine, ou que j’écris ces lignes avec un clavier, ou encore que la photo que j’ai dans mon portefeuille correspond au visage de ma femme Sarah. Dans cette première catégorie de mémoire, on distinguera souvent un impact de la maladie sur deux types de mémoire :
– la mémoire de mon histoire personnelle (dans le jargon, mémoire épisodique) : ce que j’ai fait hier, le fait que sois né à Nancy en Lorraine, que je suis allé à telle université, que je me sois marié avec Sarah, etc …
– la mémoire des objets et des visages (qu’on appelle aussi mémoire sémantique) : tel objet s’appelle une fourchette, tel autre s’appelle un chapeau, telle personne s’appelle Henri, l’autre s’appelle Jacqueline, etc …
La seconde catégorie de mémoire correspond à des souvenirs que l’on ne peut pas expliquer avec des mots (on appelle cela la mémoire non déclarative ou mémoire implicite). Par exemple, je peux difficilement expliquer le geste de faire ses lacets, celui de pédaler à vélo ou d’éplucher un légume. De même, je peux difficilement expliquer la sensation vécue lorsque ma femme a accouchée et que j’ai pris pour la première fois mon fils dans mes bras, ou pour un fumeur, la sensation d’envie éprouvée face à une cigarette. Il existe des mots bien sûr mais ils restent approximatifs et ne permettent pas un partage exact du vécu, comme pour les gestes. A sa façon, Hugo écrivait que “les mots manquent aux émotions”. Concernant la mémoire non déclarative , c’est tout à fait cela ! On distingue dans cette seconde catégorie de mémoire :
– la mémoire des gestes : clouer avec un marteau, visser, essuyer, peindre, tricoter, éplucher, jouer au ping-pong (pour ceux qui ont pratiqué pendant longtemps), jouer d’un instrument (pour ceux qui ont pratiqué pendant longtemps) …
– la mémoire émotionnelle : j’aime mes parents, mes frères et soeurs, mon épouse, j’ai peur du vide, d’être enfermé, d’être séparé, du noir, etc … Il existe en réalité d’autres types de mémoire mais cela ne serait pas utile de les présenter ici. Ce que dont je vous ai parlé là suffit pour tirer quelques constats intéressants dans notre compréhension de ce que vit votre proche et de la façon dont vous pouvez adapter vos attitudes. Tout cela vous est expliqué dans la partie suivante : Avec la maladie, au quotidien, ça donne quoi ? Lorsque la maladie s’installe et progresse, ces différents types de mémoire sont touchés et impactent le rapport au monde de votre proche, son quotidien. Cela peut paraître un peu trivial mais il ne faut surtout pas l’oublier : votre proche NE FAIT PAS EXPRES !
Si vous le pensez, je vous invite à vous interroger sur votre rapport à la maladie, à en parler à vos proches ou si cela est vraiment trop difficile, à un psy. Alors voici les cinq principaux éléments à connaître :
- Votre proche ne mémorise plus ou presque plus de nouveaux souvenirs (amis jargonneux, on appelle ça un défaut de mémoire antérograde). Concrètement, la quasi-totalité de ce qui se passe n’est pas mémorisé. Ce que vous dîtes, ce que vous faîtes, les endroits où vous allez, votre proche ne peut pas s’en rappeler … un peu comme si cela ne s’était jamais produit. Pour essayer de se représenter ce phénomène, il vous est peut-être déjà arrivé de perdre un document ou un objet, et malgré tous vos efforts, vos enquêtes auprès de vos proches, il vous est impossible de retrouver cet objet, ni même de retracer le fil des événements jusqu’à sa perte. Tous vos souvenirs liés à cette partie de votre histoire en lien avec cet objet se sont envolés. Ce qui vous fait mener l’enquête, c’est votre besoin de l’objet en question car vous en avez l’utilité ou que quelqu’un vous le réclame. Et bien imaginez que ce ne soit pas le cas : vous n’en avez pas besoin et personne ne vous réclame cet objet. En toute logique, vous ne cherchez rien et ne le vivez pas plus mal alors que dans l’absolu tous vos souvenirs en lien avec cet objet se sont envolés. Autre exemple, nous ne nous rappelons pas de tous nos rêves alors que pourtant, nous rêvons toutes les nuits (et même plusieurs fois par nuit) et vivons ces instants. Pour votre proche, c’est pareil : il n’y a pas de souvenirs des événements vécus.
- Le second phénomène implique directement la mémoire des objets et des visages (mémoire sémantique). Dans les faits, votre proche peut peut-être reconnaître un objet mais trouver le nom de cet objet ne sera pas possible … ou inversement, il peut avoir un nom en tête sans pour autant faire le lien avec l’objet ou le visage qui correspond. Cette situation là, nous la connaissons tous plus ou moins. En effet, c’est un peu comme lorsque l’on essaie de se rappeler du nom d’une personne, d’un objet, qu’on l’a sur le bout de la langue mais que le mot ne sort pas. Pour l’avoir vécu, nous connaissons la sensation désagréable que cela engendre. Alors imaginez-vous que votre proche peut ressentir des dizaines de fois cette sensation dans la journée, surtout s’il se retrouve harcelé de questions.
- Le troisième phénomène concerne la mémoire de l’histoire personnelle (mémoire épisodique). Pour bien comprendre ce qui se passe, imaginez-vous que la mémoire de l’histoire personnelle est comme un oignon. Cet oignon est tout petit à la naissance et, au fur et à mesure que la personne grandit, des couches de souvenirs viennent se greffer les unes sur les autres. Disons que chaque nouveau souvenir constitue une nouvelle couche. Le plus à l’intérieur de l’oignon, nous aurons les souvenirs liés à l’enfance et le plus à l’extérieur les couches liées au «3ème âge». Avec la maladie, dans la majorité des cas, ce sont les souvenirs les plus récents qui disparaissent, puis ceux qui sont un peu moins récents, puis ceux qui le sont encore moins etc … Un peu comme si on épluchait l’oignon. Dans les faits, la personne oubliera d’abord son dernier voyage, ses années de retraite, puis ses années de travail, etc … jusqu’à parfois se rappeler de l’adresse qu’il avait lorsqu’il habitait chez ses parents (et à vouloir parfois y retourner). Ce même phénomène se rattachera aussi à l’image qu’il aura de lui-même dans le miroir ou sur des photos (il se reconnaîtra sur une photo ancienne de 10 ans, puis de 20 ans, etc …). Idem pour des personnes, les petits-enfants seront d’abord oubliés, puis les enfants, jusqu’à penser être soi-même un enfant (et vouloir parfois «naturellement» rejoindre ses parents). Enfin, le dernier impact notoire de ce phénomène concernera les objets. Et là aussi, certains objets anciens ne feront plus sens pour votre proche … car ils n’auront tout simplement pas encore été inventés ! L’implication sera ressentira surtout concernant la toilette (rasoir électrique, la douche parfois, …).
- Le quatrième phénomène concerne le fait que les mémoires non déclaratives, c’est-à-dire les mémoires des gestes et émotionnelle, se détériorent beaucoup moins rapidement que les mémoires déclaratives (mémoire de l’histoire personnelle, des noms et des objets).
- Le cinquième phénomène concerne le fait que ces différentes mémoires sont toutes utilisées en même temps dans notre la vie au jour le jour. Cela implique deux conséquences qu’il faut avoir bien en tête :
– A condition de prendre en compte les quatre phénomènes précédents (impossibilité de mémoriser de nouveaux souvenirs, difficulté à trouver ses mots, et mémoire de l’histoire personnelle à rebours, meilleur maintien des mémoires non déclaratives), votre proche peut encore réaliser pendant longtemps tout un tas d’activités et y trouver du sens, à condition de bien organiser celles-ci. Par exemple : sans pour autant savoir comment cela s’appelle, il pourra sans doute continuer de faire la vaisselle, d’éplucher des légumes, de tailler les haies du jardin, mais aussi une somme d’activités de stimulations cognitive adaptées, etc …
– A contrario, votre proche peut donner l’illusion de pouvoir faire quelque chose sans être en mesure d’y arriver complètement. Dans ce cas, le risque principal est que vous le mettiez en échec. Quelques exemples: vous reconnaître sans se rappeler de comment vous vous appeler, tourner les pages d’un livre sans pour autant être capable de lire, taper sur une machine à écrire sans pour autant pouvoir écrire, etc … Pour ne surtout pas conclure … En guise de fin à cet article, je souhaite préciser que malgré la présence de tous ces phénomènes liés à la maladie, il reste possible pour votre proche de trouver du sens, de se sentir utile et de continuer à vivre sans laisser la maladie prendre le dessus.
Nous avons ici mis l’accent sur ce qui fait la maladie mais pour autant, je vous invite à garder en tête que toute évolution est singulière mais surtout, et plus que tout, que ce qui fait la maladie ne fait pas la personne ! Au contraire, même si vous avez le sentiment que votre proche a changé (les goûts, les conventions sociales, …), soyez assurés qu’il n’a pas complètement changé. Et c’est justement ce qui a toujours fait sa personne, sa façon d’être, ses anciens hobbies, qui peuvent vous aider à lutter contre la maladie et à aller au-delà.
AUTEUR :